M. Christian Frémont




Monsieur le Ministre
Mesdames, Messieurs,


Tout d’abord, je tiens à vous dire combien je suis sensible à la démarche qui nous réunit aujourd’hui. Plus particulièrement, je tiens à remercier de son invitation et de son initiative mon ami, M. le Ministre Ahmed Lahlimi Alami, Haut Commissaire au Plan du Royaume du Maroc, qui a eu l’idée de vous faire réfléchir ensemble à, la question de la pertinence de l’espace atlantique et d’associer la France à cette réflexion.

Pour la France, le Maroc et un allié privilégié, très important, un point de stabilité et de modération en Afrique, qui rassure dans le monde inquiétant que nous connaissons. La France suit avec beaucoup d’attention et d’intérêt les réflexions et les travaux qu’il mène pour assurer son avenir – et d’une certaine manière le nôtre aussi – car, que cela nous plaise ou non à nous Européens, nous sommes liés par un même destin avec les pays qui bordent la Méditerranée bien sûr mais aussi l’Atlantique.

Beaucoup a déjà été dit sur le sujet ce matin. En ce qui me concerne je me bornerai à faire quelques constats et à poser un certain nombre de questions.

D’abord est ce que nous devons nous interroger sur la pertinence d’une initiative intercontinentale alors que l’espace atlantique est une évidence géographique et qu’il est aussi, pour nous riverains, une exigence tant sont importants les problèmes que nous devons régler ensemble : immigration, drogue, piraterie, sécurité collective.

Et pourtant, cet espace n’est pas, au sud, une donnée historique – Il n’a jamais été organisé qu’au nord où il a contribué à créer une extraordinaire prospérité.

Faut-il, peut-on pour cela copier le modèle de l’OTAN ?

Il y a certainement des leçons à tirer de cette organisation mais les conseils que l’on peut donner ne peuvent venir qu’en appui à la volonté des peuples du Sud sans laquelle rien ne sera possible.

Nous sommes à un moment de l’Histoire où il est nécessaire de réinventer le monde, comme il a fallu le faire après la 2ème guerre mondiale. Beaucoup de bouleversements sont intervenus au cours de ces six décennies : la décolonisation, la chute de l’empire communiste et la disparition de la guerre froide, l’émergence de nouvelles puissances économiques, la mondialisation, avec pour finir la crise économique la plus grave qu’ait connue le monde depuis 80 ans. Or n’oublions pas les leçons de l’histoire moderne et contemporaine. En général les crises se terminaient par des guerres, d’où sortait un monde nouveau après des massacres épouvantables et des destructions massives. Espérons que nous n’en sommes plus là. Mais nous nous trouvons quand même devant une rupture fondamentale. Les certitudes, les postions acquises, les modèles de pensée, tout s’est envolé. Et je ne pense pas que l’on puisse, une fois la crise passée, repartir comme avant, par un simple replâtrage du passé. Ce n’est ni possible ni souhaitable. Ce serait une erreur historique grave de le faire ; ce serait prendre d’énormes risques. Il est nécessaire de reconstruire les relations internationales sur des bases nouvelles, en tenant compte des réalités nouvelles, en mettant en place tous les mécanismes qui peuvent garantir la paix et la prospérité du monde.

Nous ne pouvons aujourd’hui en rester à la situation passée d’abord parce qu’elle n’a pas de sens : au moment de réfléchir à un nouvel modèle économique, à un nouvel équilibre du monde, comment laisser à l’écart l’Afrique, qui est le deuxième continent le plus peuplé au monde, qui regroupe près d’un milliard d’habitants, dont la population, qui a doublé en moins de 30 ans, est la plus jeune du monde ? Comment laisser à l’écart l’Amérique du sud où la démocratie s’est imposée et qui s’est prodigieusement développée depuis un quart de siècle, qui compte, avec le Brésil et l’Argentine, deux des grandes puissances de demain ?

Ignorer les deux rives de l’Atlantique sud n’aurait pas de sens. C’est notamment ce raisonnement qui a conduit Nicolas Sarkozy, le Président de la République Française, à exiger en 2008, que le « G8 », qui réunissait depuis 30 ans les pays les plus développés de la planète, soit recomposé pour que l’Afrique, avec l’Egypte et l’Afrique du sud, l’Amérique du sud avec le Brésil et l’Argentine y soient notamment représentés. C’est ainsi que sont nés le G13 et le G20.

Pendant longtemps – pendant des siècles - les relations entre le Nord et le Sud ont été largement fondées sur l’hypocrisie, l’égoïsme et traduites dans une solide langue de bois.
L’aide au développement, la lutte contre la pauvreté étaient évoquées le plus souvent sous forme incantatoire, les pays riches étant au fond d’eux-mêmes persuadés qu’ils pouvaient être de plus en plus riches à côté de pays qui étaient toujours aussi pauvres, voire de plus en plus pauvres.

Est ce que nous avons une chance que les choses soient différentes aujourd’hui ? Peut-être oui, par une meilleure approche des réalités. Car que constatons-nous ?
- La montée des périls : la crise qui comme je le rappelais, a toujours été porteuse de conflits
- L’impossibilité de maîtriser les flux migratoires
- L’inquiétude grandissante sur l’avenir de la planète. Il faut avoir le courage de le dire : l’écologie est encore un luxe de pays riche ; mais, riches et pauvres, nous partageons la même planète et ce qui se passe dans chacun des pays du monde nous concerne tous.
Alors qu’allons-nous faire ?

En 1985, était publié un ouvrage, consacré aux pays riverains de l’océan Pacifique, intitulé « L’avenir du monde ».

Et cet ouvrage annonçait la fin du monde atlantique. Encore ne s’agissait-il que du Nord, personne ne se souciait alors du Sud.
Et de fait nous avons constaté depuis 25 ans l’extraordinaire percée de l’Asie et l’équilibre du monde a en été réellement modifié

Je crois que nous pouvons ensemble, ce matin, formuler un premier souhait : que soit rétabli un équilibre qui serait plus favorable à l’Atlantique et qui inclurait le sud. La reconnaissance, par les grandes puissances, de la nécessité, de la légitimité de cette évolution, ouvre de larges perspectives. Elle nous permet aujourd’hui de considérer avec un certain espoir les perspectives de création d’un espace atlantique complet, c’est-à-dire incluant le Sud.

Ne nous berçons cependant pas d’illusions, l’exercice sera difficile. Pour l’aborder on peut, sans doute, selon la tradition distinguer trois domaines : la culture, l’économie, la politique.

On pense en général que commencer par les échanges culturels est le plus facile.
Certes la pertinence d’un espace culturel ne fait aucun doute. Les échanges culturels entre nos trois continents sont, depuis des siècles, une réalité même s’ils n’ont pas toujours été aisés et s’ils n’ont jamais trouvé le bon niveau d’équilibre. L’écueil majeur de notre histoire à nous, Occidentaux, est d’avoir trop longtemps considéré l’Autre comme une réserve dans laquelle nous pourrions indéfiniment puiser, sans contreparties aucunes, avec la certitude de la supériorité de notre civilisation. Il nous faut aujourd’hui mettre sur un pied d’égalité les traits singuliers de nos différentes nations pour les faire s’ouvrir les unes aux autres. Passer d’une vision utilitariste des civilisations à une conception relationnelle des cultures. Cette évolution est une condition de la réintégration – notamment – du continent africain dans le concert des nations contemporaines. Ce sera un long et lourd chantier mais il n’est pas impossible de l’ouvrir.

L’expérience nous a appris, à nous les Européens, que finalement l’approche économique était la plus efficace et la plus aisée lorsqu’on voulait construire un ensemble nouveau. C’est sur un projet économique modeste qu’ont été établies les bases de ce qui devait devenir l’Union européenne. Comment se pose largement maintenant la question d’un espace économique tricontinental dont l’Atlantique serait cœur ?

Il faut d’abord en rappeler l’asymétrie constitutive. Longtemps – et aujourd’hui encore – la préemption des ressources et l’unilatérisme ont prévalu dans les rapports entre l’Europe et l’Amérique du Nord d’une part et l’Afrique et l’Amérique du Sud d’autre part. Les relations économiques entre nos trois continents ont longtemps été marquées du sceau de l’iniquité. Il s’agit aujourd’hui d’expurger nos relations de toute forme d’impérialisme, quelles qu’en soient les formes ; c’est à cette condition que se réalisera l’indispensable réconciliation en profondeur entre nos différents pays. Et ce n’est évidemment que d’un développement économique plus juste et d’une meilleure répartition des richesses que pourra émerger l’espace de paix et de prospérité que nous appelons aujourd’hui de nos vœux.

Nous devons avec détermination et sans hypocrisie poursuivre la lutte contre la pauvreté, à travers l’accès à l’eau et à l’énergie. Nous devons continuer à promouvoir les Objectifs du Millénaire définis par l’ONU, et en particulier le premier d’entre eux : réduire de moitié l’extrême pauvreté et la faim d’ici à 2015, puisque précisément les pays où la pauvreté est la plus forte sont des pays d’Afrique.

La disparité prédomine aussi en matière d’investissements directs (IDE) à l’étranger : d’une part entre les pays du Nord et les pays du Sud et, d’autre part, entre le continent africain et le continent sud-américain. Près de 60% des IDE entrants se concentrent en Amérique du Nord, en Europe et au Japon tandis que les pays en développement n’en reçoivent que 40%. Sept pays accueillent à eux seuls 65% du stock mondial d’IDE, essentiellement des pays industrialisés. Le continent africain n’attire que peu d’IDE quand bien même quelques pays comme l’Afrique du Sud, l’Algérie, le Maroc, la Tunisie ou l’Egypte font exception. En revanche, il faut se réjouir que les flux d’IDE en Amérique Latine n’aient cessé d’augmenter depuis le début des années quatre-vingt dix. Il est donc nécessaire – par des accords de coopération – d’atteindre le double objectif d’accompagner le développement des IDE à destination du continent africain et d’en maintenir la croissance à destination du continent sud-américain.

Dans le même temps il est indispensable de favoriser l’émergence du concept de responsabilité sociale des entreprises, qui prend en compte les préoccupations sociales mais aussi environnementales. On ne peut concevoir, aujourd’hui, un modèle de développement qui ignorerait la nécessité de préserver l’avenir de notre planète. Ne rien faire c’est préparer à nos enfants un monde tragique.

Enfin, que peut-on dire de la pertinence d’un espace politique de coopération ? Là encore, quelques efforts ont été faits mais en nombre insuffisant pour parvenir à la fois à imposer la résolution pacifique des conflits et à faire émerger un véritable espace de solidarité entre différents pôles nationaux et régionaux.

Il y a cependant des pistes intéressantes : je prendrai deux exemples : le premier est celui du Maroc, qui bénéficie d’un statut particulier dans ses relations avec l’Union Européenne. Ce partenariat privilégié est source à la fois d’avancées en termes de coopération diplomatique – au travers de la participation du Maroc aux opérations de gestion de crise (civiles et militaires) et de son soutien aux déclarations de Politique étrangère et de sécurité commune (PESC) – comme de sa coopération en termes de lutte contre la criminalité – au travers de l’Institut supérieur de lutte contre la criminalité, comme de l’intégration du Maroc à Europol, ou encore de sa coopération judiciaire avec son affiliation à Eurojust.

Le deuxième exemple concerne la nouvelle impulsion donnée au processus de Barcelone par l’Union pour la Méditerranée, voulue par le Président Sarkozy. Nous voyons là combien le rapprochement d’espaces transrégionaux, bâti sur le socle d’une culture et d’une histoire partagées, même si cette histoire a été parfois douloureuse, aide à la régulation de questions dépassant largement le cadre régional, comme les questions énergétiques ou environnementales. Mais le cadre euro-méditerranéen est aussi une formidable chance pour la coopération en matière de recherche et d’innovation.

Comme vous le disiez, on peut se demander s’il est plus difficile d’organiser l’Atlantique que la Méditerranée ? Franchement on ne voit pas pourquoi ce le serait.

Mais j’en reviens à ma question initiale : quand on considère l’évolution du monde, la globalisation des échanges, la faillite du système financier international, on peut réellement se demander s’il est encore temps de se poser la question de la pertinence de l’espace atlantique ; ne serait-il pas plus opportun de rechercher comment nous allons satisfaire ensemble l’exigence d’un tel espace ? Il en va de notre responsabilité de faire du rapprochement des structures, des hommes et des capitaux une chance pour nos trois continents, le moyen pour Vous Africains, Vous Américains, Nous Européens de ne pas subir les effets de la globalisation, mais de les anticiper et d’en tirer un profit collectif. Imaginons ce qui pourrait arriver si nous ne faisions rien : l’extrême pauvreté est le terreau sur lequel se développement les intégrismes, la violence, les ferments de guerre. Ne prenons pas ces risques

J’espère de tout mon cœur que l’on passera ainsi rapidement de la question de la pertinence de l’espace atlantique à la contrainte de l’exigence, qui elle-même peut devenir un jour tout simplement une évidence. Il nous appartient, sans nourrir d’illusion excessive, mais sans accepter de sombrer dans un défaitisme définitif, de décider d’agir. Car c’est nous qui déciderons de l’avenir. Ce sera difficile, ce sera long, il y aura des embûches. Mais ce n’est pas pour cela qu’il faut renoncer à faire bouger les lignes, ne serait ce que par une politique des petits pas dont l’exercice qui nous réunit aujourd’hui est un exemple.

Le Général de Gaulle, qui fut un visionnaire, écrivait dans ses Mémoires : « là où il y a une volonté, il y a un chemin ». Il faut que nous ayons cette volonté de créer autour de l’Atlantique, un espace de paix, fondé sur la prospérité économique et le respect des droits de l’homme –qui est pour nous Français, une valeur fondamentale.

Alors est-ce que cet espace sera pertinent ? Il existe. Il sera pertinent si nous le voulons, si nous faisons preuve à la fois de réalisme, de pragmatisme, de volontarisme, et si nous nous donnons les moyens d’avancer. Soyez assurés que la France fera tout pour être à ce rendez-vous de l’Histoire.



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